Insécurité alimentaire : développer des approches multi-composantes conçues en réponse aux besoins des personnes
Édito

L’insécurité alimentaire se définit comme « la disponibilité limitée ou incertaine d’aliments adéquats sur le plan nutritionnel et sûrs, ou une capacité limitée ou incertaine d’acquérir des aliments appropriés par des moyens socialement acceptables » (Radimer, 1992). Aggravée par les conflits, les crises économiques et les catastrophes climatiques, l’insécurité alimentaire constitue un défi majeur à l’échelle mondiale que ce soit en matière de justice sociale ou de santé publique.
n’ont pas eu régulièrement accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante dans le monde en 2022 (FAO, 2023)
étaient en situation d’insécurité alimentaire en France en 2015 (Anses, 2017).
ont eu recours à l’aide alimentaire en France en 2019 (Le Morvan et Wanecq, 2019).
Au-delà de ses enjeux socio-économiques, l’insécurité alimentaire présente des répercussions significatives et bien documentées sur la santé. Elle est notamment associée à une alimentation de moindre qualité, favorisant le développement de maladies chroniques (Seligman et Schillinger, 2010). Ainsi, l’étude ABENA2, menée entre 2011 et 2012 dans des centres d’aide alimentaire en France métropolitaine, montre une prévalence accrue de troubles liés la nutrition – obésité, diabète de type 2, hypertension, certaines carences vitaminiques – chez les usagers de ces structures comparés à la population générale (Grange et al., 2013).
L’édition d’octobre d’Équation Nutrition propose un éclairage sur les habitudes alimentaires des populations vulnérables et les divers obstacles qui s’opposent à l’adoption d’une alimentation saine et équilibrée.
Le premier article examine les facteurs influençant la consommation de légumes chez des adolescents issus de quartiers socio-économiquement défavorisés de Dublin. A travers les témoignages d’enseignants et de travailleurs sociaux, ce travail identifie 11 obstacles à la consommation de légumes, révélant des interactions complexes. . À partir de cette analyse, les auteurs insistent sur la nécessité d’aller au-delà des actions ciblant les individus. Ces dernières ne peuvent avoir un impact significatif sans des approches adéquates au niveau de la communauté et des politiques publiques.
Le deuxième article présente des résultats de l’étude Prevalim qui visait à examiner les habitudes alimentaires des usagers des épiceries sociales et à évaluer la conformité aux recommandations alimentaires nationales (PNNS, France). L’étude a révélé des similitudes avec la population générale, telles qu’une consommation insuffisante de fruits et légumes, de noix et de légumineuses et une consommation élevée de produits sucrés. Elle suggère également certaines spécificités, telles que la méconnaissance ou la « peur » des aliments en conserve, et une faible consommation de produits animaux (viande, poisson et œufs ainsi que produits laitiers). Fait intéressant, contrairement à la croyance populaire selon laquelle les plus modestes ne cuisinent pas beaucoup, la plupart des personnes interrogées ont déclaré préparer leurs repas tous les jours. Les facteurs économiques et culturels ont été identifiés comme les principaux obstacles au respect des recommandations.
Le troisième article explore explore la valeur accordée à la durabilité alimentaire par les personnes en situation d’insécurité alimentaire, sur la base de 29 entretiens semi-structurés avec des usagers d’une épicerie sociale. L’étude révèle que les participants confrontés à l’insécurité alimentaire accordent une grande importance à toutes les dimensions de la durabilité alimentaire, avec un accent particulier sur la santé et la naturalité des aliments. En revanche, l’impact environnemental des aliments qu’ils choisissent les préoccupe moins. L’article met également en évidence un écart important entre les valeurs alimentaires des participants et leurs comportements réels, principalement en raison de restrictions économiques.
Ensemble ces trois articles montrent que la précarité alimentaire est façonnée par une multitude de facteurs individuels, sociaux et environnementaux. Ainsi, une approche multidimensionnelle semble essentielle afin de permettre aux personnes en situation d’insécurité alimentaire d’aller vers des habitudes alimentaires plus équilibrées et durables. L’objectif n’est pas seulement de sensibiliser aux bienfaits de certains aliments, mais d’adopter une approche globale de l’alimentation et de développer des initiatives visant à repenser l’environnement alimentaire, à améliorer l’accessibilité aux aliments sains et à réduire les risques pour la santé, en intégrant des considérations culturelles et en soutenant des interventions adaptées au contexte socio-économique des groupes cibles.
Nicole Darmon est spécialiste des inégalités sociales en matière de nutrition. Son objectif principal est de contribuer à améliorer l’accès physique et économique à des régimes alimentaires sains et durables, en se basant sur des études d’observation, de modélisation et d’intervention
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