Vers une relocalisation de l’alimentation : quels sont les freins et les leviers identifiés ?

Systèmes alimentaires locaux : approfondir les recherches pour conclure définitivement sur les bénéfices associés

achat de fruits et légumes au marché alimentation locale - Aprifel

Depuis les années 2000, de nombreuses politiques, sous l’impulsion de la société civile, promeuvent une (re) localisation des systèmes alimentaires. Si, spontanément, le « local » est synonyme de bénéfices dans l’esprit de nombreux acteurs, les preuves scientifiques permettant d’étayer ces croyances manquent. Une récente revue de la littérature a examiné les connaissances concernant les systèmes alimentaires locaux afin de tester systématiquement 8 bénéfices qui leurs sont attribués. Ce travail conclut que les impacts des systèmes alimentaires locaux ne sont pas univoques et varient selon 3 grands facteurs : les produits considérés, les chaines d’approvisionnement et les régions/pays. Ce travail pointe également deux lacunes clés empêchant de conclure de manière claire sur les effets de la (re)territorialisation de l’alimentation : l’absence de définition partagée de l’échelle locale et le manque de données unifiées et de référentiels qui permettraient des comparaisons internationales.

Face aux tensions existant sur les systèmes alimentaires actuels (Nystrom et al., 2019) et à la nécessaire transition vers plus de durabilité, les systèmes alimentaires locaux sont vus par de nombreux acteurs comme une des solutions à déployer. Ainsi, plusieurs pays et régions ont investi dans des politiques publiques dédiées (De Schutter, 2017) : Initiative « Know Your Farmer, Know Your Food » et fonds dédiés au financement de projets régionaux et locaux aux Etats-Unis (Ahearn et al., 2018), Financement quinquennal “Local Food Infrastructure Fund” au Canada (Government of Canada, 2019). En Europe, la stratégie « Farm to Fork » fixe quant à elle des objectifs « pour amener de la résilience régionale et locale et réduire les dépendances aux chaines d’approvisionnement plus longues ». (European Commission, 2020).

Les bénéfices avancés pour soutenir le développement de systèmes alimentaires locaux sont variés (Bonnal et al., 2019) : gains pour la santé des populations et la durabilité des systèmes alimentaires, réduction des impacts environnementaux, soutien au tissu socio-économique local…Pourtant, à date les preuves scientifiques permettant de démontrer ces bénéfices manquent. Afin d’y pallier une étude récente (Entoven, 2021) a passé en revue de façon systématique les connaissances produites depuis 20 ans (voir méthodologie) pour tester 8 grands bénéfices associés aux systèmes alimentaires locaux (voir figure 1) :

  • Amélioration de l’accès à une alimentation saine ;
  • Consentement à payer plus élevé chez les consommateurs ;
  • Meilleure rémunération des producteurs ;
  • Développement de l’économie locale ;
  • Modes de production plus durables ;
  • Réduction des impacts sur le changement climatique

Figure 1 : Bénéfices associés aux systèmes alimentaires locaux, testés par Entoven et al., 2021

Consommateurs : des gains en termes de santé et un consentement à payer accru

Sur le 1er volet d’investigation, la littérature montre que les consommateurs qui s’approvisionnent en produits locaux ont un meilleur état de santé que les autres. Cet effet n’est pas lié à une qualité sanitaire ou nutritionnelle accrue des produits locaux mais découlerait de meilleures habitudes alimentaires avec notamment une consommation plus importante d’aliments frais et non transformés, principalement des fruits et des légumes (Allen, 2017). Une corrélation positive entre la présence de points de vente d’aliments locaux et la santé des consommateurs est ainsi observée par de multiples études. Plusieurs travaux réalisés aux USA et en Italie constatent, par exemple, que l’amélioration de l’accès aux denrées alimentaires locales via différents canaux est associée à une réduction des taux de surpoids et d’obésité (Berning, 2012 ; Bimbo, 2015 ). Toutefois, les études existantes ne permettent pas d’établir un lien de cause à effet.

Concernant le consentement à payer, la littérature montre que les consommateurs sont effectivement prêts à payer davantage pour des aliments locaux (Adalja et al., 2017). Cependant, cette conclusion n’est pas généralisable à l’ensemble de la population et il existe d’importantes variations selon les caractéristiques des consommateurs, leurs habitudes d’achat et les produits concernés.

Les femmes, les personnes plus âgées, plus riches, ayant des liens avec le monde agricole, ou sensibles à la cause environnementale sont celles les plus susceptibles d’accepter de payer davantage pour des produits locaux.
Campbelle, 2010 ; Gracia et al., 2012 ; Hasselbach and Roosen, 2015

Les auteurs soulignent, en outre, le fait que les travaux concernant le consentement à payer ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la population, la plupart de ces études présentant des biais d’inclusion, avec une surreprésentation de personnes présentant un niveau d’éducation et de revenus élevés.

Producteurs : un sentiment de reconnaissance accru, mais des gains économiques très variables

Sur le deuxième champ d’investigation, la revue de la littérature réalisée soutient l’idée que les agriculteurs qui participent aux systèmes alimentaires locaux se sentent reconnus pour leur travail. C’est d’ailleurs souvent la principale motivation pour laquelle ils participent à ce type de circuits alimentaires (Mundler, 2019 ). Des travaux réalisés en Italie montrent que les producteurs qui s’inscrivent dans les systèmes alimentaires locaux et la vente en circuits courts le font pour gagner en réputation, mettre en évidence la valeur « réelle » de leurs produits et sensibiliser les consommateurs à la production alimentaire (Mancini, 2019 ; Demartini, 2017)

Concernant les gains économiques pour les acteurs de la chaine alimentaire, la littérature montre le plus souvent une faible performance économique des exploitations agricoles engagées dans les systèmes alimentaires locaux – en partie en raison des coûts élevés liés aux compétences supplémentaires et à la main-d’œuvre nécessaire (Malak-Rawlikowska, 2019 ). Ainsi, la mesure dans laquelle les agriculteurs bénéficient (ou non) de ce choix de commercialisation dépend d’une multitude de facteurs et est très spécifique à chaque cas.

La part de la production vendue via différents canaux de commercialisation, les caractéristiques des agriculteurs (le sexe, âge, éducation, compétences …), le type d’exploitation (la taille, productions, localisation), ou encore de l’échelle de temps considérée sont autant de facteurs qui influencent les gains obtenus (Entoven, 2021).

Communautés : un effet positif sur les liens sociaux, des bénéfices impossibles à évaluer pour l’économie locale

Sur le 3e volet examiné, les études examinées confirment l’idée que les consommateurs et agriculteurs impliqués dans les systèmes alimentaires locaux souhaitent favoriser le bien-être de leurs communautés (Chiffoleau, 2019 ; Lombardi, 2015 ; Izumi, 2010). Pour autant, ces travaux soulignent également que cet engagement social réciproque ne tient qu’à la condition où les intérêts respectifs sont satisfaits (c’est-à-dire la rentabilité pour les agriculteurs, et l’accès à des aliments sains et abordables pour les consommateurs). Par ailleurs, plusieurs études pointent des inégalités sociales d’accès aux systèmes alimentaires locaux, les personnes défavorisées sur le plan socio-économique étant peu inclues certains circuits de distribution de produits locaux (Zwart and Mathijs, 2020 ; Macias 2008).

Concernant les bénéfices pour le tissu économique local, les auteurs indiquent que les études disponibles ne donnent qu’un aperçu limité de la validité de cette affirmation du fait d’un manque de cohérence dans les approches méthodologiques.

Environnement : des modes de production plus durables, des effets limités sur les émissions de gaz à effets de serre

Sur le dernier volet examiné, les travaux disponibles font ressortir que les systèmes alimentaires locaux sont généralement associés à des pratiques de production respectueuses de l’environnement, notamment en réponse aux demandes des consommateurs : productions plus diversifiées, exploitations en polyculture, production de variétés anciennes de fruits et légumes, agriculture biologique (Cerrada-Serra, 2018 ; Hedberg, 2020 ). Cependant des différences notables sont observées d’un pays à l’autre.

Enfin, concernant les émissions de GES, ce travail souligne qu’à produit équivalent, c’est avant tout l’efficacité des chaines logistiques qui détermine l’ampleur des émissions de GES. En effet, contrairement aux idées reçues, le transport des denrées alimentaires ne contribue que faiblement aux émissions (6% des émissions liées à l’agriculture). Le type de production (animal vs végétal) et le mode de production sont des facteurs influant nettement plus (Poore and Nemecek, 2018 ; Ritchie, 2020).

Par ailleurs, bien qu’elles parcourent moins de kilomètres, les denrées locales, généralement produites en quantité moindre, ne bénéficient pas de l’efficacité logistique des produits conventionnels. Ainsi, les analyses de cycle de vie réalisées sur les produits locaux montrent des impacts en termes d’émission de GES équivalents voire supérieurs aux produits non locaux (Mancini, 2019 ; Malak-Rawlikowska, 2019). Pour réduire cet impact, les auteurs soulignent la nécessité de développer et d’optimiser les chaines logistiques locales (transport et stockage) et d’atteindre un seuil de produit suffisant pour gagner en efficacité.

Systèmes alimentaires locaux : renforcer les recherches et développer des référentiels transnationaux

En conclusion de ce travail, les auteurs pointent deux lacunes clés freinant la compréhension des effets des systèmes alimentaires locaux sur la société. D’une part la définition exacte de « local » fait défaut et varie selon les cadres et contextes. Il existe également une confusion entre la notion de local et de vente en circuit court – c’est-à-dire via un nombre restreint d’intermédiaires.

D’autre part, les auteurs considèrent que les données actuellement disponibles sont insuffisantes. Ils invitent ainsi à approfondir les recherches sur l’impact des systèmes alimentaires locaux en renforçant leur méthodologie (recherche de causalité, échantillons plus larges et représentatifs) et en développant des référentiels transnationaux permettant d’établir des comparaisons internationales.

Enfin, afin de soutenir le développement des systèmes alimentaires locaux, les auteurs invitent les décideurs publics à soutenir le changement d’échelle de ces systèmes, par exemple en soutenant l’approvisionnement local pour les structures publiques (écoles, hôpitaux). Par ailleurs, les auteurs pointent l’intérêt de développer l’offre de produits locaux dans les circuits classiques de distribution pour démocratiser l’accès aux produits locaux.

Basé sur : Local food systems : Reviewing two decades of research  Agricultural system 193 (2021) .

Méthodologie

Messages clés
  • La performance économique, sociale et environnementale des systèmes alimentaires locaux dépend fortement du type de production, de la chaine logistique et des territoires.
  • Le local n’est pas défini d’un point de vue international et est source d’interprétations
  • Il est donc nécessaire d’adopter des approches adaptées et de collecter des données complètes pour maximiser leurs effets positifs sur l’économie, l’environnement et la santé publique.
Références
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