Insécurité alimentaire : développer des approches multi-composantes conçues en réponse aux besoins des personnes

Identifier les freins à la consommation de légumes chez les jeunes en situation de précarité, un point de départ essentiel pour faire évoluer les pratiques

Les adolescents en situation de précarité ont tendance à consommer moins de légumes que leurs pairs plus aisés. Afin d’identifier les freins spécifiques à cette population, une étude récente a interrogé des enseignants et des travailleurs sociaux encadrant des adolescents issus de quartiers défavorisés à Dublin (Irlande). Ce travail identifie 11 barrières parmi lesquelles figurent les préférences alimentaires ainsi que le manque de connaissances et d’intérêt pour l’alimentation saine. Les pratiques parentales ainsi que l’influence des pairs jouent également un rôle déterminant dans les comportements alimentaires des adolescents. Les résultats de cette étude soutiennent la nécessité d’agir non seulement au niveau individuel mais aussi à l’échelle de la communauté pour promouvoir de meilleures habitudes alimentaires chez les populations vulnérables.

L’adolescence est une période critique pour le développement et l’acquisition des comportements alimentaires. Les études existantes suggèrent notamment que les comportements établis au cours de l’adolescence ont tendance à perdurer à l’âge adulte (te Velde et al., 2007 ; Ambrosini et al., 2013). Les habitudes alimentaires de cette population sont notamment caractérisées par une consommation accrue d’aliments gras, sucrés et ultra-transformés, directement associée à la prévalence de l’obésité infantile (OMS, 2020).

Ainsi, de nombreux adolescents peinent à respecter les recommandations nutritionnelles, notamment concernant la consommation de légumes. En Irlande, les résultats de l’enquête HBSC révèlent que seuls 21% des adolescents consomment des légumes plus d’une fois par jour. En outre, cet écart avec les recommandations est d’autant plus marqué chez les plus modestes (Költo et al., 2020).

Afin d’apporter un éclairage sur les facteurs entrant en jeu, l’étude de Bel-Serrat et al., 2023 a recueilli les témoignages d’enseignants et de travailleurs sociaux s’occupant d’adolescents issus de quartiers défavorisés de Dublin (Irlande).

L’exposition continue à un environnement obésogène

Au total, 7 enseignantes et 13 travailleurs sociaux ont été interrogés sur leur perceptions des barrières à la consommation de légumes chez les adolescents. Le goût et la texture figurent parmi les principales citées. En effet, les préférences alimentaires sont des déterminants largement reconnus de la consommation de légumes (Birch,1999). De nombreux adolescents expriment, ainsi, une aversion pour les légumes, les jugeant souvent fades, amers ou trop mous. A l’inverse, il existe une préférence marquée pour les aliments ultra-transformés et les boissons sucrées, décrits comme des aliments susceptibles de créer une dépendance (Lustig, 2020).

Néanmoins, la concurrence entre les légumes et les aliments de moins bonne qualité nutritionnelle ne se limite pas au goût et à la saveur mais porte également sur le coût et la commodité. D’après les travailleurs sociaux et les enseignants interrogés, les adolescents préfèrent se tourner vers les plats à emporter et les fast-foods, considérés comme des aliments bon marché et prêts à être consommés. Comme décrit dans cette étude et rapporté dans d’autres travaux, ces points de vente sont très répandus dans les zones plus défavorisées et disposent d’horaires d’ouverture étendus ainsi que d’offres spéciales ciblant les adolescents (Macdonald et al., 2007 ; Maguire et al., 2015).

Ainsi, les participants interrogés estiment que les adolescents issus de quartiers socio-économiquement défavorisés sont continuellement exposés à un environnement obésogène qui encourage la consommation d’aliments gras, sucrés et ultra transformés au détriment d’une alimentation plus saine.

Un besoin d’accompagnement des familles et des rythmes de vie destructurés

L’influence de la dynamique familiale sur les habitudes de consommation est aujourd’hui bien documentée (McClain et al., 2009 ; Krolner et al., 2011 ; Di Noia et al., 2014). Les participants interrogés suggèrent que les familles ne disposent pas de connaissances suffisantes en matière de nutrition. Ce manque de connaissances a notamment été constaté dans une étude menée auprès de jeunes chômeurs d’Irlande du Nord et semble aller de pair avec un manque d’intérêt pour l’alimentation en général (Davison et al., 2015).

L’absence de règles et de routines à l’heure des repas a également été mentionnée, les familles ne mettant pas suffisamment l’accent sur le fait de s’asseoir ensemble et de partager un repas. Par ailleurs, les participants remarquent que la plupart des parents sont confrontés à des emplois du temps contraignants, limitant ainsi le temps disponible pour cuisiner des repas équilibrés. En outre, certaines familles n’ont pas les compétences nécessaires pour préparer des repas incluant des légumes. Les participants estiment que ce manque de structure et de compétences incite les familles à opter pour des aliments plus pratiques et prêts à être consommés.

L’influence des pairs : déterminant majeur des choix alimentaires

Au cours de l’adolescence, les pairs jouent un rôle déterminant dans la prise de décision et ont un impact majeur sur de nombreux aspects de la vie des adolescents. Ainsi, le sentiment d’appartenance à un groupe social est crucial pour les adolescents. Les participants rapportent notamment que le fait de consommer des légumes est parfois perçu comme « impopulaire » ou « ennuyeux » dans certains cercles d’amis. Cette pression sociale pousse les adolescents à éviter les légumes pour se conformer aux normes de leur groupe (Stok et al., 2014). Une revue systématique a notamment conclu que l’influence des pairs sur les comportements alimentaires tend à être plus négative que positive en augmentant la consommation d’aliments à forte densité énergétique (Rageliené et al., 2020).

La nécessité d’une approche multifactorielle combinant accessibilité, éducation et soutien familial

Cette étude met en lumière la complexité des obstacles qui empêchent de nombreux adolescents de consommer suffisamment de légumes. Sur la base des résultats rapportés, les auteurs soulignent la nécessité d’adopter une approche globale abordant l’ensemble des barrières identifiées pour améliorer la qualité de l’alimentation chez les adolescents les plus précaires.

Parmi les pistes d’action suggérées figurent :

  • L’amélioration de l’accessibilité aux légumes au travers de programmes de distribution de produits frais à l’école, l’implantation de marchés de producteurs locaux ou encore la promotion de jardins urbains. En outre, les programmes alimentaires pourraient inclure davantage d’activités pratiques afin d’attirer l’attention des adolescents et de leur apprendre à traduire les connaissances en comportements favorables à leur santé.
  • L’éducation nutritionnelle : proposer une éducation nutritionnelle engageante à l’école pourrait aider les jeunes à mieux comprendre l’importance des légumes pour leur santé et leur bien-être. En outre, la formation du personnel encadrant est cruciale pour faciliter la transmission des messages. La sensibilisation des parents au travers d’ateliers au cours desquels ces derniers peuvent apprendre à intégrer plus de légumes dans les repas familiaux, influençant ainsi positivement les habitudes alimentaires de leurs enfants. Il est essentiel de travailler avec les adolescents et leurs familles et, en général, avec les personnes vivant dans des communautés défavorisées lors de l’élaboration d’interventions et de politiques visant à modifier les comportements alimentaires.
  • La réduction de la stigmatisation sociale : en encourageant une approche où la consommation de légumes est perçue comme positive, tant par les jeunes que par les adultes.

Basé sur : Silvia Bel-Serrat, Pauline Klingenstein, Maria Marques-Previ, Eilis Hennessy, Celine Murrin, Perceived barriers to vegetable intake among urban adolescents from socioeconomically disadvantaged backgrounds: A qualitative study from the perspective of youth workers and teachers., Physiology & Behavior, Volume 262, 2023, 114074, ISSN 0031-9384.

Modèle socio-écologique

Le modèle socio-écologique est un cadre théorique utilisé pour comprendre les multiples niveaux d’influence sur les comportements individuels, en particulier en matière de santé. Il suggère que les comportements humains ne sont pas uniquement déterminés par des facteurs individuels, mais qu’ils soient également influencés par des interactions complexes entre les individus et leur environnement social, physique et politique. Le modèle met l’accent sur l’interconnexion entre différents niveaux, de l’individu à la société dans son ensemble.

Méthodologie
Messages clés
  • Les adolescents issus de quartiers défavorisés sont continuellement exposés à un environnement obésogène proposant un accès accru aux fast-foods et autres aliments industrialisés, ce qui tend à réduire leur consommation de légumes.
  • L’influence des pairs joue un rôle majeur sur les comportements alimentaires des adolescents.
  • Des dispositifs holistiques sont indispensables pour accompagner les populations les plus modestes.
Références
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