Insécurité alimentaire : développer des approches multi-composantes conçues en réponse aux besoins des personnes

Populations précaires : un décalage entre les aspirations et les habitudes alimentaires concernant la durabilité

Améliorer la qualité des régimes alimentaires tout en préservant l’environnement est un enjeu crucial à l’échelle mondiale. Dans les faits, la transition vers une alimentation plus durable reste difficile pour de nombreux consommateurs. Récemment, une étude a exploré la place de la durabilité dans les choix alimentaires de consommateurs en situation d’insécurité alimentaire en France (utilisateurs d’une épicerie sociale). Ce travail révèle que ces consommateurs accordent de l’importance aux quatre dimensions des régimes durables mais que la dimension environnementale reste secondaire. Malgré leur désir d’adopter des comportements alimentaires durables, les participants se sentent limités par des contraintes financières et d’accès aux aliments sains. Ce travail souligne la nécessité de politiques favorisant l’accessibilité et l’engagement des consommateurs vulnérables dans la transition alimentaire.

Faire évoluer les habitudes alimentaires des populations est un enjeu important que ce soit en termes de santé ou d’environnement (Springmann et al., 2018 ; Willett et al., 2019). Pour réussir cette transition vers des régimes plus durables, comprendre les déterminants des comportements alimentaires est ainsi essentiel.

Les comportements alimentaires résultent d’une interaction complexe de facteurs personnels, environnementaux et sociaux. Le processus de choix alimentaire a notamment été appréhendé par différentes théories des valeurs alimentaires, des « croyances durables sur ce qui est important dans la vie en matière de nourriture » (Lusk & Briggeman, 2009). Différentes valeurs influençant les choix des consommateurs ont été prises en compte dans la littérature : santé, goût, coût, commodité, impact environnemental (Marty et al., 2022 ; Piracci et al., 2023). Bien que les ressources financières soient un déterminant majeur des comportements alimentaires, peu d’études se sont intéressées aux déterminants socio-économiques des valeurs alimentaires, tels que l’insécurité alimentaires.

Pour y palier, l’étude de Verdeau et al., 2024 a cherché à explorer les valeurs alimentaires des consommateurs confrontés à l’insécurité alimentaire et à comprendre l’importance accordée aux quatre dimensions de l’alimentation durable.

Choix alimentaires : la santé dimension prioritaire

Au total, 29 bénéficiaires d’une épicerie sociale localisée à Dijon ont été interrogés (voir méthodologie). À l’exception d’un réfugié résidant dans un foyer, aucun participant n’a mentionné la précarité du logement ou le manque de matériel de cuisine. Six participants ont évoqué un mauvais état de santé influençant leurs comportements alimentaires : au moins trois souffraient de diabète de type 2 et deux avaient subi une chirurgie bariatrique.

Parmi les valeurs alimentaires évoquées lors des entrevues, la santé s’est révélée être la plus importante pour l’ensemble des participants. Ces résultats corroborent les recherches précédentes, qui démontrent que les consommateurs en situation d’insécurité alimentaire valorisent une alimentation saine et possèdent des connaissances appropriées en la matière (Evans et al., 2015 ; Puddephatt et al., 2020 ; van der Velde et al., 2019 ; Webber & Dollahite, 2008). Il est à noter que les participants exprimaient des idées générales, conformes aux recommandations nationales telles que “Pour votre santé, manger au moins 5 portions de fruits et légumes par jour“, sans toutefois faire le rapprochement entre leurs habitudes alimentaires et la prévention des problèmes de santé sur le long terme.

Malgré une recherche de la naturalité, l’impact environnemental de l’alimentation constitue une préoccupation secondaire

La deuxième valeur majoritairement identifiée chez les participants est la perception de la naturalité des aliments. Cette notion englobe les méthodes agricoles, la production alimentaire et les caractéristiques des produits finaux (goût, fraicheur, etc.). Les participants à l’enquête ont notamment valorisé les méthodes de production perçue comme naturelles et rejeté l’agriculture intensive, les pesticides et la transformation industrielle. Beaucoup ont également mis en avant le fait maison, les aliments frais et, dans certains cas, les produits biologiques. Le lien direct entre la naturalité des aliments et leurs bienfaits pour la santé était systématiquement évoqué tandis que les impacts environnementaux de l’agriculture industrielle étaient rarement mentionnés.

En effet, l’aspect environnemental, bien que présent, apparait comme secondaire pour les participants qui se concentrent davantage sur les effets immédiats des aliments sur leur santé. Cette moindre priorisation de l’impact écologique des choix alimentaires reflète une tendance observée dans d’autres pays occidentaux et n’est donc pas spécifique à l’échantillon (Fox et al., 2021 ; Polleau & Biermann, 2021 ; van Bussel et al., 2022). En outre, la plupart des participants ne se considèrent pas comme des acteurs majeurs de la transition alimentaire, attribuant cette responsabilité à des éléments externes (agriculture, industrie, politiques publiques). Ce sentiment de détachement et d’impuissance face aux défis du système alimentaire pourrait, selon les auteurs, favoriser des comportements alimentaires moins durables.

Des écarts importants entre les valeurs et les comportements alimentaires dans un contexte économique et environnemental contraignant

Si la majorité des participants à l’enquête accorde de l’importance à plusieurs dimensions de la durabilité alimentaire, un décalage important existe entre leurs valeurs et leurs comportements alimentaires. L’un des principaux obstacles à l’application des valeurs alimentaires est le coût des aliments, un problème exacerbé par la conjoncture économique fragile et l‘inflation croissante en France au moment de l’étude (Insee, 2022). Le coût perçu comme élevé des aliments tels que les fruits et légumes, le poisson et la viande est fréquemment cité comme un frein à l’accès à une alimentation saine et de bonne qualité.

Parmi les autres obstacles mentionnés figure l’inaccessibilité à des aliments de qualité, liée à un environnement alimentaire peu favorable. Ainsi que l’indiquent les auteurs, en France, l’approvisionnement alimentaire en milieu urbain a été critiqué du fait d’une promotion excessive des produits malsains et insuffisante pour des alternatives saines et de qualité. De facto, l’environnement alimentaire actuel n’encourage pas les consommateurs à faire des choix éclairés.

Enfin, ce travail identifie les problèmes de santé, le manque d’accès à une cuisine pour les réfugiés, le manque de temps, la charge mentale et la solitude comme des obstacles majeurs à l’adoption de comportements alimentaires durables.

Aligner valeurs et comportements alimentaires : le potentiel des épiceries sociales et du fait maison

En dépit des obstacles mentionnés, l’ensemble des participants s’est dit disposé à élaborer des stratégies pour aligner leurs valeurs et leurs comportements alimentaires. L’épicerie sociale s’est révélée être un véritable « lieu salvateur », dans lequel les répondants bénéficient d’un accès à une gamme d’aliments jugée suffisamment variée. En particulier, les prix attractifs des fruits et légumes sont considérés comme un avantage majeur, incitant les plus précaires à fréquenter l’épicerie.

Pour beaucoup, l’épicerie sociale n’est en revanche pas le seul moyen d’approvisionnement. Les participants déclarent avoir recours à diverses stratégies pour obtenir des aliments à moindre coût :

  • Suivre les promotions et bons d’achat,
  • Effectuer ses achats dans des supermarchés discount,
  • Utiliser d’autres formes d’aide alimentaire,
  • Choisir des options moins chères comme les légumes surgelés,
  • Acheter en grandes quantités,
  • Simplifier le régime alimentaire.

La cuisine maison est également apparue comme une solution clé permettant aux participants à l’étude de reprendre le contrôle sur le coût et le goût des aliments. De nombreux participants ont adopté des techniques telles que la cuisson en grande quantité ou la congélation pour optimiser les ressources disponibles. L’ajout d’épices est également cité comme moyen d’améliorer le goût de la viande industrielle, illustrant ainsi l’importance de l’adaptabilité dans la gestion de l’alimentation.

Considérant les résultats obtenus, les auteurs soulignent la nécessité de politiques favorisant l’accessibilité et l’engagement des consommateurs vulnérables dans la transition alimentaire.

Basé sur : Verdeau, B., & Monnery-Patris, S. (2024). When food is uncertain, how much does sustainability matter? A qualitative exploration of food values and behaviours among users of a social grocery store. Appetite, 194, 107175.

Méthodologie
Messages clés
  • Les individus en situation d’insécurité alimentaire ont valorisé l’ensemble des dimensions de la durabilité alimentaire, mais ont principalement mis l’accent sur la santé et la naturalité des aliments. Les préoccupations concernant l’impact environnemental de leurs choix alimentaires sont restées secondaires.
  • Il existe un décalage significatif entre les valeurs alimentaires déclarées et les comportements réels, en raison notamment de contraintes économiques.
  • La fréquentation d’épiceries sociales et la cuisine maison sont décrites comme des stratégies efficaces bien que limitées pour aligner les valeurs et les comportements alimentaires.
Références
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